Gros plan sur l'ASEC
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Gros plan sur l'ASEC


Après le très instructif ouvrage du docteur Oulédi sur les années ASEC, voici un autre point de vue, travaillé à partir d'un nouvel angle,et signé Idriss Mohamed : Fragments d'expérience, publié aux éditions du Coelacanthe. En attendant, avec impatience, les livraisons de Moustoifa Said Cheikh, Abderemane Koudra, Aboubacar Mchangama, Aboubacar SaidSalim, ou encore Ahmed Ali Amir, Assaf Sahal...

Il y a, on ne sait trop, une hésitation à qualifier cet ouvrage, et à l'insérer dans une classification définie ou une facture particulière. Un témoignage, des mémoires, un bilan, une étude, tout y est, il y a un peu de ceci et de cela à la fois. C'est, quelque part, dans un élan de sincérité religieuse, une confession, une sorte de mea culpa salvateur qui va glissant vers la rédemption. Une invitation au survol du romantisme révolutionnaire des Comores qui a traversé et marqué les années soixante-dix. A la poursuite d'un rêve : "l'idéal patriotique révolutionnaire". Où l'on apprend que Moroni a connu son "mai 68", quelques mois avant celui qui a secoué le pouvoir du Général De Gaulle, à Paris. Fragments d'expérience, c'est surtout un récit riche d'enseignements. Si, comme le consacre le sens commun, l'ASEC était une école, l'ouvrage d'Idriss est un manuel, la notice de mode d'emploi de l'ASEC et du FD. Une sorte de visite guidée dans les méandres du mouvement qui essayait de jeter ses tentacules sur toutes les administrations de l'Etat comorien, dans une stratégie secrète de noyautage.

Une plongée dans les profondeurs de la nébuleuse révolutionnaire, l'ouvrage d'Idriss Mohamed Chanfi renseigne sur la vie du mouvement gauchiste dans le paysage politique de l'archipel des Comores. De sa naissance dans un archipel colonisé à sa maturation comme force patriotique de lutte contre le joug colonial ; de la récupération et la transformation de l'ASEC à la création du FD, il est question ici d'un regard froid, objectif, impartial et sans concession, un regard interne d'un militant qui a gravi tous les échelons et vécu toutes les turpitudes, avant d'emprunter la porte de sortie, après être passé par toutes les cases, notamment celle de la prison. Un travail réalisé avec une sincérité sans faille et un sens du devoir.

Fragments d'expérience, parcours d'un révolutionnaire comorien est une introspection réussie, avec le recul nécessaire, plus de 40 ans de combat, et un récit sans fard de la vie au sein de ce qu'on peut qualifier de politburo, l'instance dirigeante du mouvement. Idriss parle de lui, de sa vie de militant, de cadre dirigeant, de ses doutes, de son engagement, de ses déceptions, de sa mise à l'écart ; il parle de ses amis, camarades de lutte, de galère et de cellule. Il parle sans concession de leur aveuglement ("nous n'avions rien compris au pays"...), des trahisons, des désillusions et des désenchantements de l'idéologie communiste, tendance marxiste-léniniste, dont le combat contre la colonisation, transformée en combat contre les mercenaires, puis contre la France sur la question de Mayotte, est devenu une lutte fratricide pour le contrôle des instances du parti. Il raconte tout cela sans tomber dans le piège du règlement de comptes.

C'est aussi l'histoire d'un écorché vif, déçu des transformations de ses camarades anciens asecards embourgeoisés. On retrouve un peu d'Etore Scola, avec son chef d'œuvre culte C'erabamo tanto amati (Nous nous sommes tant aimés) dans le traitement des acteurs qui étaient aux avant-postes du mouvement. Il montre les transformations et les multiples mutations du Front Démocratique. Idriss touche du doigt, au risque de remuer des plaies non encore cicatrisées - malgré le temps et les diverses adaptations subies, imposées ou voulues - les dysfonctionnements qui ont jalonné l'histoire du mouvement. L'auteur, ancien militant, propose, sous le prisme de la sociologie politique, un éclairage nouveau sur les principaux événements qui ont marqué l'archipel, à travers la proclamation de l'indépendance, le putsch et la révolution soilihiste, la restauration avec les mercenaires, les tentatives de séparatisme avec les manipulations des réseaux de la Françafrique, et l'avènement d'une nouvelle république. Il va jusqu'à fustiger le parti, lequel, d'après lui, a trahi ses idéaux en s'adaptant à la conjoncture politique et en devenant "un parti comme les autres", dont l'objectif est le partage de maroquins.

Cependant, Idriss ne rend pas encore les armes, la lutte doit se poursuivre d'après lui. Ce livre, c'est également un cri de détresse : Idriss tire sur la sonnette d'alarme pour inviter les Comoriens à un réveil patriotique, pour faire face aux enjeux qui s'annoncent, ainsi qu'aux dangers qui nous guettent, à l'aube de la 41e année de l'accession des Comores à la souveraineté internationale. Une note d'espoir en cette période d'agitation où les indignés de tous les pays provoquent des printemps...pour de nouveaux lendemains qui chantent.

Ahmed SAST

Idriss Mohamed Chanfi

Fragments d'expérience

Cœlacanthe,août 2014, 148p., 14€.


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